Les animaux
Et
l'Eternel lui dit : Prends une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans,
un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe.
Au passage soulignons l’erreur de
quelques traductions qui, sans doute pour en améliorer la qualité littéraire,
parle « d’une génisse, d’une chèvre
et d’un bélier ayant chacun trois ans»
mais réduisent la force de l’expression symbolique en gommant la triple
répétition du chiffre trois.
A ce stade reprenons le
dictionnaire des symboles pour éclairer les images qu’on nous présente.
Les trois premiers animaux d’abord,
dont nous pouvons dire qu’ils ont pour points communs d’être des mammifères,
des animaux domestiques et des animaux à cornes. Ce seront les seuls qui seront
découpés.
La génisse d’abord. La génisse est
une jeune vache qui n’a pas encore vêlé mais dispose de tous les attributs pour
le faire, elle est en attente d’être fécondée. «D’une
façon générale, la vache, productrice de lait est le symbole de la terre
nourricière….Elle est la fertilité, la richesse, le renouveau, la Mère. »[1]
Sans en épuiser le
sens, ces quelques mots suffisent à souligner l’aspect maternel, maternant et
terrestre de la vache. Le fait qu’il s’agisse ici d’une génisse renforce l’idée
que ces qualités ne sont que potentielles
et demandent à être actualisées par la fécondation.
Le bélier
ensuite :
Ardent, Mâle, instinctif et
puissant, le bélier symbolise la force génésique qui éveille l’homme et le
monde et assure la reconduction du cycle vital au printemps de la vie comme
celui des saisons.
Devant de telles images des puissances féminines et viriles, il y a
tout lieu de penser que la chèvre qui se trouve entre les deux est leur enfant,
la génisse et le bélier. Or voilà que le dictionnaire des symboles
affirme que la chèvre est associée à la manifestation de Dieu de façon
très ancienne. La chèvre serait à lors l’enfant divin des puissances
telluriques et célestes qui lui donne naissance.
Nous sommes donc en présence d’une triade de type « Père,
mère, fils ». La plus connue des triades du monde chrétien étant la
trinité et sous une forme plus imagée, la sainte famille. Egalement le caducée
des médecins qui représente deux forces antagonistes qui s’enroulent autour
d’un axe vertical. Représentation de deux forces qui s’opposent et qui
alternent, mues par un mouvement ascendant. Symbole qui justifie le mot de
Jünger : toute guérison est miraculeuse. C’est la différence des sexes et
de la reproduction sous fond de luttes éternelles, l’opposition des contraires.
Pas d’égalité entre les sexes, simple opposition des contraires.
Le fait que les animaux aient trois ans permet au texte de
souligner le chiffre trois, répété trois fois, mais la signification de ce
trois-là est quelque peu différente du précédent, il ne s’agit pas d’une triade
mais de la marque d’un cycle qui, avec le trois, marque le temps de
l’accomplissement. Nous trouvons le
chiffre trois en filigrane du texte, par exemple dans l’âge d’Abraham qui a 99
ans au moment des faits, ou encore les trois anges qui visitent Abraham et
Sarah.
Puisqu’on parle de numérologie, parlons du quatre, les 400 ans, les
400 sicles. 100 étant le chiffre de l’accomplissement parfait. Il y a encore le
quadrilatère de Mamre ou celui d’Hébron. Ce qui relie ces chiffres est l’axiome de Marie : Un devient Deux, Deux devient Trois et du troisième
vient l'Un comme quatrième. Dans ce contexte le trois est celui qui rompt le cycle de la
dualité pour atteindre à l’accomplissement. Donc il s’agit d’une dynamique. De
l’un sort le deux, le couple. Mais comme le couple relève du conflit, apparait
le trois. C’est la triangulation œdipienne qui permet de la résolution du
conflit par la mise en place de règles.
Abram
prit tous ces animaux, les coupa par le milieu, et mit chaque morceau l'un
vis-à-vis de l'autre; mais il ne partagea point les oiseaux.
Nous savons qu’Abram a demandé un signe à Dieu et nous voilà
regardant Abram partager les animaux. Ce partage est ce signe. Ce n’est pas un
sacrifice, juste un signe. Or un signe est fait pour être regardé afin
qu’apparaisse la signification. Comme les animaux terrestres relèvent du corps,
il faut commencer par regarder notre corps que nous constatons partagé. Tout,
en dehors du tube digestif et de la colonne vertébrale, y est réparti en deux
parts symétriques de chaque côté d’un plan vertical : ainsi notre cerveau
est fait de deux hémisphères, notre nez de deux narines, ainsi nos deux bras,
nos deux jambes, nos deux yeux.
Petite anecdote hautement symbolique, Il y a sur le corps de l’homme mâle, une trace de
couture que les savants appellent le raphé périnéal (ou raphé médian). Celle-ci
est située entre les deux testicules et chemine le long de la face postérieure
du pénis jusqu’au frein et longitudinalement sur le scrotum jusqu’à
l’anus. Cette couture provient de la réunion pendant l’embryogénèse de deux
tissus à l’origine séparés. Ces deux tissus forment les bourses chez l’homme,
les petites lèvres chez la femme. En effet, lors du développement fœtal,
l’appareil génital est d’abord identique chez la fille et le garçon, et ce n’est qu’au bout de la neuvième semaine
qu’il se différencie,
Dans le discours d’Aristophane, un des interlocuteurs du
Banquet de Platon, l’androgyne apparaît comme un être fait de quatre pieds,
quatre mains, quatre oreilles, et deux sexes différents.
Or ce que nous apprend l’embryogénèse, c’est que le sexe
apparait comme possédant les deux sexes, les testicules et les ovaires, avant
de se différencier la neuvième semaine. Les ébauches de testicules disparaissant chez le fœtus femelle,
tandis que les ébauches d’ovaires disparaissent chez le fœtus mâle. Nous
trouvons dans la formation du corps une construction en deux temps de la
sexualité humaine, Dans le premier temps où le sexe est indifférencié, il contient déjà les marques de la
différenciation puisqu’il se prépare aux deux éventualités, celle d’être mâle
ou celle d’être femelle. Ce qui confirme bien que la division est antérieure à
la séparation des sexes.
Mais avant même la question de la formation de l’appareil génital
humain nous savons que l’embryon se forme par division cellulaire de l’œuf
fécondé, processus fondamental du vivant puisque nécessaire à la génération de tout
organisme.
Ce que rappelle également le Coran « Certes, c'est Dieu qui fait fendre la graine et le
noyau » (Coran, 6 : 95)
Le signe de croix des chrétiens, avec le geste de la main qui, du
front au nombril, glisse sur le sternum puis marque le côté gauche et le côté
droit, est également une représentation du partage des animaux. Il indique la
ligne de coupure, puis désigne les deux côtés, le droit et le gauche. Lors de
la consécration le prêtre partage le pain, image du corps du Christ. Ce même
Christ qui a dit : Ne croyez
pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu
apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre
l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa
belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison.[2]
Nous en trouvons également la trace dans la scarification de
certains adolescents qui expriment leur mal-être en se tranchant la chair, ou
encore chez quelques tribus aborigènes qui allant au-delà de la simple circoncision se fendent le pénis
dans le sens longitudinal, pratique connue sous le nom subincision[3].
C’est grâce à la reconnaissance de cette coupure verticale qu’Abram
pourra dire à Loth, Sépare-toi donc
de moi; si tu prends la gauche, j'irai à droite; et si tu prends la droite,
j'irai à gauche, ou que Dieu demande : Lève donc les yeux, et regarde du lieu où tu es, vers
le Nord, vers le Midi, vers l'Orient et vers l'Occident[4].
Nous sommes orientés, c’est la latéralisation, le long d’un axe
vertical, définissant la droite et la gauche, le devant et le derrière, et
c’est cette orientation qui nous place dans le monde. S’orienter[5] consiste à repérer
où le soleil se lève, puis grâce à la connaissance que l’on a de sa droite et
de sa gauche, de déterminer où sont le nord et le sud. La droite côté du Sud, du soleil, du chaud,
du sec, direction bénéfique. La gauche côté du nord, du froid et de la pluie,
direction funeste. L’est est devant, l’ouest est derrière. [6]
Après que Dieu l’ait invité à parcourir le monde d’est en ouest et
du nord au sud, Abram plante ses tentes à Mamre. Or à Mamre existe les bases
d’un vaste édifice rectangulaire, probablement un temple, de facture très
ancienne, bien plus lointaine que ce qu’affirme l’archéologie officielle
d’Israël qui veut qu’il fut bâti par Hérode[7].
Or ce temple est bien implanté selon les repères cardinaux.
Ici, mieux qu’ailleurs il faut citer Protagoras « l’homme est la mesure de toute chose » puisque l’homme
porte en son corps ce qui l’oriente dans le monde et lui permet de construire
la cité.
Soulignons le geste demandé par Dieu : Lève donc les yeux,
c’est regarder vers le ciel, et regarde du lieu, c’est regarder vers la terre, où
tu es, c’est regarder vers soi, vers le nord …, c’est regarder le monde. Et
oui, nous voilà planté dans le monde avec cette injonction divine :
regarde le monde depuis le lieu où tu es.
Si dans la Genèse, il y a deux récits de la création, c’est que le
premier est un récit en mode objectif, c’est la création du point de vue
universel[8], alors que le
second est en mode subjectif, c’est la création du point de vue humain. En
effet dans le premier texte, le monde est créé indépendamment de l’homme, et
celui-ci n’y apparait que lorsque tout est en place pour l’accueillir. Dans ce
monde-là la terre est ronde et tourne autour du soleil, alors que dans le
second, Il est nécessaire que l’homme existe d’abord en tant que sujet, pour
qu’il puisse ensuite connaître le monde. L’homme est créé d’abord, le monde est
créé ensuite. Dans ce monde la terre y serait plate et le soleil lui tournerait
autour. S’ils semblent incompatibles pour certains, il est pourtant nécessaire
que ces deux récits existent puisque la réalité du sujet ne peut être rendue
par la description objective du réel.
Seule ne subsiste dans la vulgate scientifique que le discours qui
corresponds au chapitre 1 de la genèse (avec quelques adaptations du genre
big-bang et milliards d’années) de sorte que le chapitre 2, qui voit Adam créé
dans un univers vide que Dieu remplit pour lui, est devenu impensable, alors
que, rappelez-vous, lorsque vous avez ouvert les yeux, il n’y avait d’abord
rien puis vous avez commencez à regarder puis à voir. Et le monde se créait
devant vous au fur et à mesure où vous l’exploriez.
L’héliocentrisme, devenu le seul modèle de représentation de
l’espace, a détruit cette injonction divine : regarde d’où tu es. Le
propre du récit religieux est de s’adresser à l’homme/sujet, à s’adresser à sa
conscience d’être pensant. Or le sujet disparait face à l’héliocentrisme, il
n’est pas réellement nié, il n’est plus. Evidement d’aucuns se réjouissent de
cette avancée de la science qui permet à l’homme de s’extraire de soi pour
s’ouvrir sur les autres, mais ce sera au détriment de cette vérité pourtant
incontournable que l’homme est d’abord un sujet qui pense, et en tant que
sujet, qu’il est au centre du monde.
Le chanteur Raphaël affirme dans une chanson : je sais que la terre est plate et prétend que s’il
s’autorise cette formule, c’est en raison d’une licence poétique. Pourtant l’homme
identifie la platitude de la terre à son rapport à la verticalité. Déplaçant,
en tout point où il va, le repère lui permettant d’en juger, l’homme ne peut
que constater que la terre est plate. Par l’expérience du quotidien, la seule
réalité à laquelle l’homme accède est celle de la terre plate. Ainsi, il s’agit
d’une donnée immédiate de la conscience. Et Raphael ne se trompe pas en
affirmant qu’il y a un « je » qui « sais » : du point
de vue du sujet, le terre ronde est pure abstraction, même lorsqu’elle renvoie
à une réalité objective. « Terre plate » est perception subjective, mais
vaut-elle moins que « terre ronde » parce qu’elle serait moins
vrai ? Imaginons déguster un verre de vin. Y a-t-il une vérité
objective lorsqu’on affirme que ce vin est bon ? C’est du même ordre que
percevoir que la terre est plate, sauf qu’il n’est plus question ici de
« vérité » mais « d’être au monde ». Par contre, ce n’est
qu’en observant les astres au lointain que l’homme conçoit que la terre est
ronde. Mais cette terre ronde ne peut-être, quand bien même elle serait plus
vrai que la terre plate, qu’une vue de l’esprit pour laquelle il nous faut nous
projeter hors de la terre dans un effort d’abstraction, pour pouvoir la penser
telle.
Grande victoire sur les consciences que les voyages dans la lune
diffusées dans la lanterne magique au siècle dernier. Victoire puisque
lorsqu’il n’y a plus de sujet, il n’y a plus personne. Plus personne pour
résister.
Mais les choses vont plus loin que ça, puisqu’une fois intériorisé
cet effort d’abstraction, on en vient à penser le monde selon ce point de vue
universaliste qui transforme les humains en objet. Nous devenons alors les
démiurges de nous-mêmes, faisant semblant de croire que nous avons prises sur
les hommes comme sur une série de pions répartis sur le globe et nous en
arrivons à imaginer des solutions mondialistes dans lesquelles le problème
humain pourrait être réglé une bonne fois pour toute au moyen de solutions
globales, ouvrant la place à l’ordre totalitaire. Ce qui est évidement une impasse puisque le
problème humain ne peut se régler que par l’homme dans sa relation face à Dieu.
L’héliocentrisme est ainsi un élément de la lutte contre l’enracinement de
l’homme le rendant inapte à décider de lui-même pour lui-même, ce qui qui est
bien ou mal, pour lui-même. La révolution copernicienne a dénaturé l’homme dans
son rapport au monde. Monde qu’on lui a appris à voir depuis les satellites,
alors qu’il habite d’abord dans une rue puis dans un quartier. Evidement on
nous apprend que c’est mal, le clan, les quartiers, les tribus tout ça, la
famille, la nation et pire encore. Mais si Dieu crée le monde par division comment allez-vous
faire pour vous opposer au processus créatif qui, chaque fois que vous
chercherez à unifier, créera, lui, des divisions ?
Quand le soleil fut couché,
il y eut une obscurité profonde; et voici, ce fut une fournaise fumante, et des
flammes passèrent entre les animaux partagés.
Ce verset conclut la séquence. C’est ce que les biblistes appellent
l’encadrement. C’est-à-dire des scènes liées par des correspondances et qui
ouvrent et ferment une séquence. Ici, nous avons une petite séquence, Abraham
partage les animaux, les flammes passent entre les animaux. C’est le sacrifice
de l’alliance dans la tradition juive. Sauf que, nous l’avons vu, il n’y a pas de
trace d’un sacrifice, juste d’un signe et le signe est là, les flammes passent
entre les animaux. Y a-t-il trace d’une alliance et de quelle nature
est-elle ?
[1]
DDS
[3]
Comme cette incision suit la ligne de raphé, zone de soudure
lorsque la vulve du fœtus se referme pour former le pénis, cette réouverture
peut être perçue comme une façon de représenter le sexe féminin sur
le sexe masculin. Wikipédia. Ou pas.
[6]
Il semble que l’homme soit un animal de l’hémisphère nord.
[8]
Ce récit comporte cependant des erreurs, en particulier dans l’ordre de
création des objets cosmiques.
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