Bereshit, le mot Genèse
Le mot alliance, Beriyth, a en hébreux
la signification de trancher, ce qu’on retrouve dans le texte à travers la
circoncision, mais aussi dans la séparation d’avec Loth (sépare-toi, je te prie, d'avec moi), ou, celle
de Sarah et de Hagar (Chasse cette servante) la
séparation d’Ismaël et d’Isaac (le fils de cette
servante n'héritera point avec mon fils) ou d’Abram avec son père (Sors de ton pays, et d'avec ta parenté, et de la
maison de ton père). De sorte que ce « trancher », la
séparation, la division, le partage sont
au cœur des aventures d’Abraham.
Les rabbins qui ont toujours aimé les jeux de mots, ont
remarqué que le mot Genèse, en Hébreux Bereshit,
pouvait se décomposer en Ber, Esh, et It,
en rassemblant les extrêmes ils forment le mot Berit,
alliance, au milieu Esh, le feu. On
comprend ici que le mot « alliance » n’a aucun sens dans le contexte
de création du monde. L’alliance
apparaitra plus tard quand Eve cherchera à se coller à Adam. Mais pour le
moment, il n’y a ni Eve ni Adam juste un feu qui passe au milieu d’une coupure.
Nous retrouvons là le caducée des médecins.
Reprenons la séquence de la création :
1 Au
commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
L’impression que l’on a là, c’est que
l’ensemble de la création est condensé dans ce verset et que le reste du texte
ne sera là que pour montrer comme elle se déploie. Tout est dit. Ou pas.
Peut-être qu'il n'est dit que ce qui est écrit là : les cieux et la terre. Dieu
crée deux mondes, l'un multiple et masculin, l'autre singulier et féminin. Nous
aurons à discuter cette question quand il s’agira d’examiner la généalogie de
Jacob, ses douze fils, sa seule fille.
Jung appelle Plérôme le temps avant
le commencement et la première déchirure. Il dira de lui dans les sept
sermons :
Le Néant et la Plénitude, nous l'appelons le PLÉRÔME.
En lui le penser et l'être cessent, car l'éternel et l’infini n'a pas de
qualités. Nul n'est en lui, car il serait alors distinct du Plérôme et aurait
des qualités qui le différencieraient du Plérôme comme quelque chose. Dans le
Plérôme est rien et tout: il n’est pas profitable de réfléchir sur le Plérôme,
car cela signifie: se dissoudre soi-même.
Le yin et le Yang
des chinois, au commencement, Dieu créé l’opposition.
La terre était informe
et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu
se mouvait au-dessus des eaux.
Remarquons ici le
dualisme initial : Informe et vide, ténèbres et abîme, L’esprit de Dieu et
les eaux. La raison en est l’opposition créée ci-avant. Ici, il n’y a encore
rien, juste l’opposition des contraires :
Les qualités sont les COUPLES OPPOSÉES, comme l’Effectif
et l'Inefficace,
la Plénitude et le Vide,
le Vivant et le Mort,
le Différent et l'Identique,
Le Clair et l'Obscur,
le Chaud et le Froid,
l'Energie et la Matière,
le Bien et le Mal,
le Beau et le laid,
l'Un et le Multiple, etc.
A ce stade, les qualités existent en Dieu mais ne sont pas encore
manifestées. Quand elles le seront, le vide éloignera le plein et créera
l’espace. C’est parce que le chaos se différencie qu’apparaissent les mondes,
c’est parce que le masculin s’éloigne du féminin que se crée l’homme.
Les couples
d'opposés sont les qualités du Plérôme, qui ne sont pas, parce qu'elles
s'annulent.
Poursuivons :
3 Dieu dit
: Que la lumière soit ! Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était
bonne; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres. Dieu appela la
lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y
eut un matin : ce fut le premier jour.
Avant que Dieu ne sépare les eaux il ne saurait y avoir
quelque chose aussi Lumière et Ténèbres sont un principe métaphysique qui
ordonne l’ensemble de la création alors qu’il n’y a encore rien. Pourtant
le texte affirme que c’est à partir de
cette séparation que le temps est créé. Il est question de soir et de matin
alors que nul astre ne domine le ciel. Le temps ici précède l’étendu. Peut-être
est-ce l’oscillation de l’onde lumineuse qui rythme le monde ?
Bien qu’à ce stade le jour et la nuit ne saurait exister,
Dieu appelle ainsi la Lumière et les Ténèbres, ce qui entraine que le monde que
Dieu s’apprête à créer sera intelligible[1] Bon d’accord, à mal nommer
les choses on risque de pires ennuis. La lumière et les ténèbres, le temps et
l’intelligibilité sont les trois premières créations du premier jour. Il est
assez probable que les deux dernières découlent de la première. Remarquons que
la notion de lumière s’applique aussi bien pour les objets matériels que pour
les objets spirituels. Est dans la lumière ce qui est conscient, est dans les
ténèbres ce qui est inconscient. Ce double niveau de la lumière comme réalité
matérielle et réalité spirituel, doit nous inciter à voir les créations
toujours selon des deux plans, le plan matériel et le plan spirituel.
6 Dieu dit : Qu'il y ait une étendue entre les eaux, et qu'elle sépare les eaux d'avec les eaux. Et Dieu fit l'étendue, et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l'étendue d'avec les eaux qui sont au-dessus de l'étendue. Et cela fut ainsi. Dieu appela l'étendue ciel. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le second jour.
Le deuxième jour Dieu crée une étendue, le ciel, qui lui
permet de séparer les eaux d’en haut et les eaux d’en bas. C’est la création de l’au-delà, ou en langage
moderne de l’inconscient.
9 Dieu dit
: Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu, et
que le sec paraisse. Et cela fut ainsi. Dieu appela le sec terre, et il
appela l'amas des eaux mers. Dieu vit que cela était bon.
La terre apparait le troisième jour avec un phénomène
étrange : les eaux d’en bas se rassemblent
et forment la terre, apparait le sec et les amas
d’eaux mers. Le principe ici est simple : la division crée le désir
d’union. Nous ne sommes que le troisième jour, c’est-à-dire bien avant
l’apparition des créatures. Il s’agit fondamentalement de la séparation entre
le sec et l’humide, c’est la sortie de la bouillie chaotique initiale. Sur le
plan terrestre il s’agit des continents et des océans, sur le plan psychique il
s’agit du conscient et de l’inconscient. Sauf que cette séparation n’est pas
faite par la division mais par le rassemblement. La division du deuxième jour
crée le rassemblement du troisième jour.
A ce stade nous voyons l’apparition de ce qu’il est
communément appelé amour. Que se
passe-t-il ? La séparation crée le manque. Dès que Dieu place l’étendu qui
sépare le monde entre ici-bas et au-delà le manque apparait et avec lui
l’amour. Le manque se manifeste comme Désir
de Dieu, la créature provient de Dieu et aspire à y retourner, elle est
habité par la nostalgie des origines. Mais en raison de l’étendu qui fait
obstacle, la divinité est inaccessible. Alors les créatures reportent leur
désir sur d’autres créatures semblables à elles.
Par exemple, sous l’effet de l’érosion, les particules d’or s’assemblent
avec les particules d’or et forment les filons d’or. Ici les pierres s’attirent
entre elle, pendant que l’eau colle à l’eau.
In fine, même les pierres aiment. C’est la loi d’attraction universelle, de
Newton, l’expression de l’amour pour tout ce qui possède un corps et qui par
le fait est séparé de Dieu. La pesanteur est alors le désir d’union des objets
massiques.
Il existe une sorte de dallage dont l’origine remonte à
l’antiquité connu chez les Francs-maçons sous le nom de pavé mosaïque. C’est un damier de dalles carrées blanches et noires,
ou rouges, composant le sol entier ou un espace rectangulaire au centre de la
loge. Ce pavé est en relation immédiate avec le troisième jour, jour de
l’apparition des contraires par rassemblement. A ma connaissance, aucun texte
biblique, notamment le Livre des Rois, ne fait allusion à un dallage noir et
blanc concernant le Temple de Salomon[2]. Il apparait cependant
dans le livre d’Esther au verset 6 du premier chapitre dans la description
des fêtes royales : « Des lits d'or et
d'argent reposaient sur un pavé de porphyre et de marbre blanc, de nacre
et de marbres noires. » En réalité il est assez difficile de savoir
précisément ce que décrit ici le livre d’Esther, les mots y sont incertains
aussi nous contentons nous de la version habituelle. Ce qui
nous intéresse ici est de voir le damier bicolore, mais de voir également que
les pierres qui le composent sont aussi des pierres bicolores : le marbre
est une pierre de couleur blanche mais qui présente du veinage qui forme des
marbrures, souvent le fait d’oxyde métallique.
Le porphyre[3], du grec ancien πορφύρα, porphýra
(« pourpre »), en référence à la variété rouge qui était la plus
connue, est une roche volcanique qui présente une texture caractérisée par
de grands cristaux de feldspath de couleur pourpre noyés dans une pâte rosée.
Le porphyre rouge antique dont il est
question ici est une pierre rouge tachetée de blanc. J’insiste d’une façon qui
peut paraître excessive, mais sur le plan symbolique, le mariage des contraires
c’est plutôt le blanc et le rouge que le noir et le blanc. La chair et le sang,
le corps et l’esprit.
Le pavé mosaïque est l’image de la terre-mer originelle,
dans laquelle s’inscrivent la division et l’ordonnancement des contraires.
Le mot Porphyre est néanmoins un mot à double entrée,
probablement par simple effet du hasard, peut-être par un choix éclairé.
Porphyre est le nom d’un philosophe néoplatonicien, Porphyre de Tyr[4], connu pour avoir été le
disciple de Plotin. Ce qui nous a interpelé, c’est son « arbre de
Porphyre », un schéma qui lui permet de classer
les sujets d'après le genre et l'espèce,
et qui comprend les concepts suivants : l'essence, le genre, la
différence, l'espèce etc… qui sont
classés suivant une série de couple d’opposés, vide et plein, animé et inanimé,
rationnel et irrationnel, etc... Ce qui nous renvoie à notre point thème, celui de la division et du
partage.
Dans le Livre Rouge
Jung dessine une sorte d’arbre de Porphyre. Le dessin est muet mais l’on
reconnait la forme de l’arbre avec son tronc central et, de part et d’autre,
les branches qui tiennent les principes opposés. La couleur y suit un motif que
l’on retrouve dans tous ses dessins de cette période, à savoir un motif
bicolore en forme de volutes et de flammèches. Le choix de Jung pour ce motif
n’est pas innocent, il s’agit de montrer que la création est construite sur l’opposition
des contraires comme si l’espace ne pouvait se développer sans que les
contraires en s’opposant ne lui donnent de l’ampleur.
Pour comprendre pourquoi même les pierres aiment, il faut
partir de cette parole qu'Ibn Arabi[5] a mis dans la bouche de Dieu :
« j’étais un trésor caché, et j’ai aimé
être connu, aussi ai-je créé le monde. »
Cette parole montre le mouvement de Dieu, vers Dieu, par la créature.
Dieu veut être regardé, sans doute est-il narcissique. Il produit la créature
en la séparant de lui, celle-ci est créée par extraction et séparation.
Cette créature par sa naissance même,
son être même, se trouve soumise à la relation d’Amour, produite par le manque.
Lorsque Dieu divise le monde, la créature séparée éprouve le manque de son
unité originelle et c’est ce manque que nous appelons Amour, amour qui relie
Créateur et créatures, et créatures entre elles, en vertu duquel Dieu aime Ses
créatures et Ses créatures L’aiment en retour. Amour par lequel Dieu connaît
ses créatures et ses créatures Le connaissent. Ainsi Dieu se connaît lui-même
dans l'échange d'amour envers ses créatures.
Ce n'est pas sans raison que la bible utiliser le verbe
connaitre pour désigner l'acte sexuel : l’amour est le véhicule de la
connaissance. Nous en avons vu la manifestation dans l'éducation d'Isaac, sans
l'amour entre le père et le fils, le voyage vers la montagne aurait été vain.
Cet amour est universel et équanime puisqu’il est fondé sur
la séparation universelle entre les créatures et le créateur. Ce n’est que par
l’attitude de la créature envers son Créateur que cet amour devient bénéfique
ou maléfique.
Le troisième jour se poursuit avec l’apparition des plantes et de leur semence ainsi que des arbres avec leur fruit. Le règne végétal – qui deviendra la nourriture – apparait là avec les marques de la reproduction sexuée. Le mot n’est pas explicite, mais nous avons déjà évoqué le caractère fendu du noyau et de la semence, ajoutons ici que le mot « sexe » provient du latin du latin secare «couper, diviser». S’il n’y a que deux sexes, c’est que ceux-ci relèvent de l’opposition des contraires, comme le jour et la nuit, le sec et l’humide, le chaud et le froid.
Nous n’allons pas
aller plus loin dans l’examen de la création la suite n’apportant rien à notre
propos. Les jours suivants verront la création des astres, suivis de la
création de animaux marins et aériens, puis des animaux terrestres, compris
l’homme.
Là aussi, la
création du soleil après la terre et les plantes peut paraître absurde pour un
esprit rationnel, mais il ne faudrait pas croire que ceux qui ont écrit cela,
ont commis cette faute par sottise. Non, acte délibéré qui fait sens sur le
plan symbolique.
[2]
Mentionné dans l’évangile de Jean en 19 :13. Pilate, ayant entendu ces paroles, amena Jésus dehors; et il s'assit
sur le tribunal, au lieu appelé le Pavé, et en hébreu Gabbatha
[3]En
hébreux : Behat : usage unique dans la bible
[5]
Al-Futûhât al-Makkiya d'Ibn 'Arabî, II, p. 322, chap. 178 hadith apocryphe. Ibn
Arabi (1165-1240) est considéré comme le plus grand maître (cheikh al-akbar)
dans la tradition soufie mais est plutôt déconsidéré par l’orthodoxie
islamique. En particulier parce que sa doctrine flirte avec le panthéisme.
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