vendredi 11 janvier 2019

Au commencement


Bereshit, le mot Genèse

Le mot alliance, Beriyth, a en hébreux la signification de trancher, ce qu’on retrouve dans le texte à travers la circoncision, mais aussi dans la séparation d’avec Loth (sépare-toi, je te prie, d'avec moi), ou, celle de Sarah et de Hagar (Chasse cette servante) la séparation d’Ismaël et d’Isaac (le fils de cette servante n'héritera point avec mon fils) ou d’Abram avec son père (Sors de ton pays, et d'avec ta parenté, et de la maison de ton père). De sorte que ce « trancher », la séparation, la division, le  partage sont au cœur des aventures d’Abraham.
Les rabbins qui ont toujours aimé les jeux de mots, ont remarqué que le mot Genèse, en Hébreux Bereshit, pouvait se décomposer en Ber, Esh, et It, en rassemblant les extrêmes ils forment le mot Berit, alliance, au milieu Esh, le feu. On comprend ici que le mot « alliance » n’a aucun sens dans le contexte de création du monde.  L’alliance apparaitra plus tard quand Eve cherchera à se coller à Adam. Mais pour le moment, il n’y a ni Eve ni Adam juste un feu qui passe au milieu d’une coupure. Nous retrouvons là le caducée des médecins.
Reprenons la séquence de la création :
1 Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. 
L’impression que l’on a là, c’est que l’ensemble de la création est condensé dans ce verset et que le reste du texte ne sera là que pour montrer comme elle se déploie. Tout est dit. Ou pas. Peut-être qu'il n'est dit que ce qui est écrit là : les cieux et la terre. Dieu crée deux mondes, l'un multiple et masculin, l'autre singulier et féminin. Nous aurons à discuter cette question quand il s’agira d’examiner la généalogie de Jacob, ses douze fils, sa seule fille.

Jung appelle Plérôme le temps avant le commencement et la première déchirure. Il dira de lui dans les sept sermons :
Le Néant et la Plénitude, nous l'appelons le PLÉRÔME. En lui le penser et l'être cessent, car l'éternel et l’infini n'a pas de qualités. Nul n'est en lui, car il serait alors distinct du Plérôme et aurait des qualités qui le différencieraient du Plérôme comme quelque chose. Dans le Plérôme est rien et tout: il n’est pas profitable de réfléchir sur le Plérôme, car cela signifie: se dissoudre soi-même.
Le yin et le Yang des chinois, au commencement, Dieu créé l’opposition.
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
Remarquons ici le dualisme initial : Informe et vide, ténèbres et abîme, L’esprit de Dieu et les eaux. La raison en est l’opposition créée ci-avant. Ici, il n’y a encore rien, juste l’opposition des contraires :
Les qualités sont les COUPLES OPPOSÉES, comme  l’Effectif et l'Inefficace,
la Plénitude et le Vide,
le Vivant et le Mort,
le Différent et l'Identique,
Le Clair et l'Obscur, 
le Chaud et le Froid, 
l'Energie et la Matière, 
le Bien et le Mal, 
le Beau et le laid, 
l'Un et le Multiple, etc.
A ce stade, les qualités existent en Dieu mais ne sont pas encore manifestées. Quand elles le seront, le vide éloignera le plein et créera l’espace. C’est parce que le chaos se différencie qu’apparaissent les mondes, c’est parce que le masculin s’éloigne du féminin que se crée l’homme.

Les couples d'opposés sont les qualités du Plérôme, qui ne sont pas, parce qu'elles s'annulent. 
Poursuivons :
Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour.
Avant que Dieu ne sépare les eaux il ne saurait y avoir quelque chose aussi Lumière et Ténèbres sont un principe métaphysique qui ordonne l’ensemble de la création alors qu’il n’y a encore rien. Pourtant le  texte affirme que c’est à partir de cette séparation que le temps est créé. Il est question de soir et de matin alors que nul astre ne domine le ciel. Le temps ici précède l’étendu. Peut-être est-ce l’oscillation de l’onde lumineuse qui rythme le monde ?
Bien qu’à ce stade le jour et la nuit ne saurait exister, Dieu appelle ainsi la Lumière et les Ténèbres, ce qui entraine que le monde que Dieu s’apprête à créer sera intelligible[1] Bon d’accord, à mal nommer les choses on risque de pires ennuis. La lumière et les ténèbres, le temps et l’intelligibilité sont les trois premières créations du premier jour. Il est assez probable que les deux dernières découlent de la première. Remarquons que la notion de lumière s’applique aussi bien pour les objets matériels que pour les objets spirituels. Est dans la lumière ce qui est conscient, est dans les ténèbres ce qui est inconscient. Ce double niveau de la lumière comme réalité matérielle et réalité spirituel, doit nous inciter à voir les créations toujours selon des deux plans, le plan matériel et le plan spirituel.


Dieu dit : Qu'il y ait une étendue entre les eaux, et qu'elle sépare les eaux d'avec les eaux. Et Dieu fit l'étendue, et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l'étendue d'avec les eaux qui sont au-dessus de l'étendue. Et cela fut ainsi. Dieu appela l'étendue ciel. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le second jour.
Le deuxième jour Dieu crée une étendue, le ciel, qui lui permet de séparer les eaux d’en haut et les eaux d’en bas.  C’est la création de l’au-delà, ou en langage moderne de l’inconscient.

9 Dieu dit : Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu, et que le sec paraisse. Et cela fut ainsi. Dieu appela le sec terre, et il appela l'amas des eaux mers. Dieu vit que cela était bon. 
 
La terre apparait le troisième jour avec un phénomène étrange : les eaux d’en bas se rassemblent et forment la terre, apparait le sec et les amas d’eaux mers. Le principe ici est simple : la division crée le désir d’union. Nous ne sommes que le troisième jour, c’est-à-dire bien avant l’apparition des créatures. Il s’agit fondamentalement de la séparation entre le sec et l’humide, c’est la sortie de la bouillie chaotique initiale. Sur le plan terrestre il s’agit des continents et des océans, sur le plan psychique il s’agit du conscient et de l’inconscient. Sauf que cette séparation n’est pas faite par la division mais par le rassemblement. La division du deuxième jour crée le rassemblement du troisième jour.
A ce stade nous voyons l’apparition de ce qu’il est communément appelé amour. Que se passe-t-il ? La séparation crée le manque. Dès que Dieu place l’étendu qui sépare le monde entre ici-bas et au-delà le manque apparait et avec lui l’amour. Le manque se manifeste comme Désir de Dieu, la créature provient de Dieu et aspire à y retourner, elle est habité par la nostalgie des origines. Mais en raison de l’étendu qui fait obstacle, la divinité est inaccessible. Alors les créatures reportent leur désir sur d’autres créatures semblables à elles.  Par exemple, sous l’effet de l’érosion, les particules d’or s’assemblent avec les particules d’or et forment les filons d’or. Ici les pierres s’attirent entre elle, pendant que l’eau colle à l’eau.
In fine, même les pierres aiment.  C’est la loi d’attraction universelle, de Newton, l’expression de l’amour pour tout ce qui possède un corps et qui par le fait est séparé de Dieu. La pesanteur est alors le désir d’union des objets massiques.

Il existe une sorte de dallage dont l’origine remonte à l’antiquité connu chez les Francs-maçons sous le nom de pavé mosaïque. C’est un damier de dalles carrées blanches et noires, ou rouges, composant le sol entier ou un espace rectangulaire au centre de la loge.  Ce pavé est en relation immédiate avec le troisième jour, jour de l’apparition des contraires par rassemblement. A ma connaissance, aucun texte biblique, notamment le Livre des Rois, ne fait allusion à un dallage noir et blanc concernant le Temple de Salomon[2]. Il apparait cependant dans le livre d’Esther au verset 6 du premier chapitre dans la description des fêtes royales : « Des lits d'or et d'argent reposaient sur un pavé de porphyre et de marbre blanc, de nacre et de marbres noires. » En réalité il est assez difficile de savoir précisément ce que décrit ici le livre d’Esther, les mots y sont incertains aussi nous contentons nous de la version habituelle.  Ce qui nous intéresse ici est de voir le damier bicolore, mais de voir également que les pierres qui le composent sont aussi des pierres bicolores : le marbre est une pierre de couleur blanche mais qui présente du veinage qui forme des marbrures, souvent le fait d’oxyde métallique.  Le porphyre[3], du grec ancien πορφύρα, porphýra (« pourpre »), en référence à la variété rouge qui était la plus connue, est une roche volcanique qui présente une texture caractérisée par de grands cristaux de feldspath de couleur pourpre noyés dans une pâte rosée.  Le  porphyre rouge antique dont il est question ici est une pierre rouge tachetée de blanc. J’insiste d’une façon qui peut paraître excessive, mais sur le plan symbolique, le mariage des contraires c’est plutôt le blanc et le rouge que le noir et le blanc. La chair et le sang, le corps et l’esprit.
Le pavé mosaïque est l’image de la terre-mer originelle, dans laquelle s’inscrivent la division et l’ordonnancement des contraires.
Le mot Porphyre est néanmoins un mot à double entrée, probablement par simple effet du hasard, peut-être par un choix éclairé. Porphyre est le nom d’un philosophe néoplatonicien, Porphyre de Tyr[4], connu pour avoir été le disciple de Plotin. Ce qui nous a interpelé, c’est son « arbre de Porphyre », un schéma qui lui permet de classer les sujets d'après le genre et l'espèce, et qui comprend les concepts suivants : l'essence, le genre, la différence, l'espèce etc…  qui sont classés suivant une série de couple d’opposés, vide et plein, animé et inanimé, rationnel et irrationnel, etc... Ce qui nous renvoie à  notre point thème, celui de la division et du partage.
Dans le Livre Rouge Jung dessine une sorte d’arbre de Porphyre. Le dessin est muet mais l’on reconnait la forme de l’arbre avec son tronc central et, de part et d’autre, les branches qui tiennent les principes opposés. La couleur y suit un motif que l’on retrouve dans tous ses dessins de cette période, à savoir un motif bicolore en forme de volutes et de flammèches. Le choix de Jung pour ce motif n’est pas innocent, il s’agit de montrer que la création est construite sur l’opposition des contraires comme si l’espace ne pouvait se développer sans que les contraires en s’opposant ne lui donnent de l’ampleur.
Pour comprendre pourquoi même les pierres aiment, il faut partir de cette parole qu'Ibn Arabi[5] a mis dans la bouche de Dieu : « j’étais un trésor caché, et j’ai aimé être connu, aussi ai-je créé le monde. »
Cette parole montre le mouvement de Dieu, vers Dieu, par la créature. Dieu veut être regardé, sans doute est-il narcissique. Il produit la créature en la séparant de lui, celle-ci est créée par extraction et séparation. Cette  créature par sa naissance même, son être même, se trouve soumise à la relation d’Amour, produite par le manque. Lorsque Dieu divise le monde, la créature séparée éprouve le manque de son unité originelle et c’est ce manque que nous appelons Amour, amour qui relie Créateur et créatures, et créatures entre elles, en vertu duquel Dieu aime Ses créatures et Ses créatures L’aiment en retour. Amour par lequel Dieu connaît ses créatures et ses créatures Le connaissent. Ainsi Dieu se connaît lui-même dans l'échange d'amour envers ses créatures.
Ce n'est pas sans raison que la bible utiliser le verbe connaitre pour désigner l'acte sexuel : l’amour est le véhicule de la connaissance. Nous en avons vu la manifestation dans l'éducation d'Isaac, sans l'amour entre le père et le fils, le voyage vers la montagne aurait été vain.
Cet amour est universel et équanime puisqu’il est fondé sur la séparation universelle entre les créatures et le créateur. Ce n’est que par l’attitude de la créature envers son Créateur que cet amour devient bénéfique ou maléfique.   

Le troisième jour se poursuit avec l’apparition des plantes et de leur semence ainsi que des arbres avec leur fruit. Le règne végétal – qui deviendra la nourriture – apparait là avec les marques de la reproduction sexuée.  Le mot n’est pas explicite, mais nous avons déjà évoqué le caractère fendu du noyau et de la semence, ajoutons ici que le mot « sexe » provient du latin du latin secare «couper, diviser». S’il n’y a que deux sexes, c’est que ceux-ci relèvent de l’opposition des contraires, comme le jour et la nuit, le sec et l’humide, le chaud et le froid.
Nous n’allons pas aller plus loin dans l’examen de la création la suite n’apportant rien à notre propos. Les jours suivants verront la création des astres, suivis de la création de animaux marins et aériens, puis des animaux terrestres, compris l’homme.
Là aussi, la création du soleil après la terre et les plantes peut paraître absurde pour un esprit rationnel, mais il ne faudrait pas croire que ceux qui ont écrit cela, ont commis cette faute par sottise. Non, acte délibéré qui fait sens sur le plan symbolique.




[2] Mentionné dans l’évangile de Jean en 19 :13. Pilate, ayant entendu ces paroles, amena Jésus dehors; et il s'assit sur le tribunal, au lieu appelé le Pavé, et en hébreu Gabbatha
[3]En hébreux : Behat : usage unique dans la bible
[4] 234 -v.310 Ap JC – Tyr, par un heureux hasard, renvoie à Hiram de Tyr, l’architecte de Salomon.
[5] Al-Futûhât al-Makkiya d'Ibn 'Arabî, II, p. 322, chap. 178 hadith apocryphe. Ibn Arabi (1165-1240) est considéré comme le plus grand maître (cheikh al-akbar) dans la tradition soufie mais est plutôt déconsidéré par l’orthodoxie islamique. En particulier parce que sa doctrine flirte avec le panthéisme.

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