lundi 7 janvier 2019

L'énigme de Samson


L’énigme de Samson 

 Nous allons nous intéresser à une petite énigme connue sous le nom d’énigme de Samson : A l’occasion de son mariage, Samson pose aux invités de la noce une énigme dans le but de leur tendre un piège. L’énigme dit ceci : " De ce qui mange est sorti ce qui est mangé, du fort est sorti le doux[1] ". Nous connaissons la réponse qu’en a donnée Samson : quelques temps auparavant, il a tué un jeune lion, revenant sur les lieux peu après, il découvre qu’un essaim d’abeilles y a fait du miel, et qu’ainsi du fort lion est sorti le doux miel. Pourtant, les invités de la noce ne pouvaient en aucune façon trouver la réponse, jamais personne en effet n’a vu sortir du miel d’un lion, pas plus d’une carcasse de lion. L’énigme ne pouvait être résolue que par celui qui connaissait la scène. Qui croira alors que la réponse donnée par Samson soit la vraie réponse à l’énigme ? Nous sommes dans un conte, la question formulée par l’auteur ne peut nullement être adressée aux personnages du conte qui sont bien incapables de répondre autrement que par les mots qui sont mis dans  leur bouche. L’énigme ne s’adresse pas aux convives mais bien au lecteur et seul un lecteur pressé croira que la Bible, censée rendre compte de la relation des hommes avec le Dieu-Tout-Puissant, puisse proposer une énigme qui se réduit à cette explication absurde. Le lion symbolise la force, le miel symbolise la douceur, certes, mais l’un et l’autre ne sont que les images à partir desquelles Samson formule la question, ils n’en sont pas pour autant la réponse puisque cette réponse serait alors insensée. Samson passe ici pour un âne puisqu’il pose une question dont il ne connait pas la réponse. De nombreux auteurs ont cherché à comprendre le sens de tout cela, mais la plupart ne commente que l’allégorie,  la transformation du lion en miel, et non l’énigme elle-même, comme si tous s'étaient laissés piégé par le texte et prenaient pour argent comptant la réponse de Sanson, chacun y allant de son interprétation comme confirmation de l’idéologie qu’il défend. Ainsi Saint Augustin propose que " de la bouche du lion mort, c’est-à-dire de la mort de Jésus-Christ, qui se couchant sur la croix, s’est endormi comme un lion, est sorti un essaim d’abeilles, c’est-à-dire une multitude innombrables de chrétiens[2]". Une façon de voir l’énigme comme une métaphore qu’on peut appliquer à tout ce qui se transforme du fort vers le doux : les Philistins qui seront vaincu, Samson qui de fort deviendra doux lorsqu’il aura perdu ses cheveux, le travail des écritures qui nous transforme et nous conduit vers la douceur etc… Sauf que l'énigme ne parle ni de lion ni de miel et que ces réponses escamotent la première partie : du mangeur est sorti le mangé.
Lorsqu’on lit le texte, la première chose que l’on comprend, c’est qu'en tuant le lion, Samson s'est approprié sa force. Le lion comme le miel sont associés à Dieu, le premier en tant que roi, le second en tant que nourriture des dieux, ce qui s’accorde avec la nature solaire de Samson, son nom vient de l’hébreu "shimshôn", ce qui signifie "fils du soleil". Nous le verrons également au milieu du feu, des blés et des renards, sa couleur est celle de la flamme. L’énigme que pose Samson ne peut alors que renvoyer à la divinité elle-même.
"De ce qui mange est sorti ce qui est mangé ". L’image ici est-celle de Saturne (Cronos) le Dieu qui dévore ses propres enfants, et plus précisément celle de l’Ouroboros, représenté par un serpent en forme de cercle qui s’engendre et se dévore lui-même. On objectera que l’Ouroboros ne fait pas partie de l’univers biblique, pourtant les phéniciens le connaissaient puisqu’ils en firent des représentations sans doute inspirées de traditions égyptiennes. Mais cela n’est même pas nécessaire, le symbole, lorsqu’il représente les grandes structures universelles, peut resurgir partout et en tout temps comme en atteste la présence de l’Ouroboros sur d'autres continents puisqu’il était connu aussi bien des aztèques que des chinois.
Il est le symbole du cycle éternel de la nature, du temps qui se répète sans cesse, n’ayant ni début ni fin et visible à travers les saisons, le cycle jour-nuit etc... Il est le début et la fin, car même si la mort ou la destruction interrompt le destin de chaque créature, il est l’espoir d’une renaissance permanente du monde. Il est le symbole de la totalité telle qu’on la voit à l’œuvre dans le cycle de la vie et de la chaîne alimentaire.
Si personne n’a jamais vu un essaim d’abeilles sortir du cadavre d’un lion, nous savons que dès que la mort intervient, une foultitude de créatures, plus microscopiques les unes que les autres, viennent se mettre au travail pour disséquer, digérer les chairs en putréfaction, et les réintégrer ainsi dans le grand cycle de la vie. Ainsi du cadavre naissent à nouveau insectes et végétaux, fleurs et pourquoi pas du miel. Nous avons donc là l’image de la vie qui se nourrit de la mort des êtres vivants. Ainsi la mort succède à la naissance et ces cycles, éternellement répétés, permettent à la vie de se renouveler, c’est-à-dire, produire sans cesse du nouveau. Cette faculté que porte la vie de se détruire elle-même pour se renouveler est probablement la cause de toute violence, en particulier de la violence humaine, puisque l’être humain, partie intégrante de cette nature qui vit de la mort de la vie, est lui-même sans cesse en train de tuer pour vivre. La première violence n’est-elle pas la mort ? Mort nécessaire à la vie même. Admettons que Dieu soit amour, il faut aussi admettre que Dieu est violent, voir hyper-violent, puisque si la moitié de son activité consiste à créer la vie, il passe l'autre moitié à la détruire, ainsi tout ce qui nait, meurt.
Lorsque les aztèques fournissaient des sacrifices humains pour donner de l'énergie au soleil afin qu'il poursuive sa course dans le ciel, ne faisaient-ils pas que se conformer à cette idée, que la vie se nourrit de la mort ? Lorsque les israélites pratiquaient des sacrifices complets faisant consumer entièrement l'offrande par le feu, il s’agissait de nourrir la divinité qui s’en pourléchait les babines. Ainsi, lorsque les parents de Samson offrent un sacrifice, ils voient l'ange de Dieu s'élever dans le feu.
On peut aussi croire que ce qui arrive aux individus arrivent également aux peuples : ils naissent, grandissent, se développent, périclitent et disparaissent, ce que le Coran affirme à plusieurs reprises : " Si vous vous dérobez, Dieu fera appel, pour vous remplacer, à un autre peuple qui ne vous ressemblera nullement.[3] ".
Passons maintenant à la deuxième partie de l'énigme "Du fort est sorti le doux". Lorsqu'on lit ça, on pense immédiatement au Yi-king, le livre des mutations. Les changements s'y effectuent au gré des transformations du Yin et du Yang. Le fort et le doux sont un couple d’opposés et les alternances et les mutations de ces deux énergies y engendrent le monde. Vous allez dire que le doux n'est pas l'opposé du fort mais l'opposé du dur, de même que l'opposé du fort n'est pas le doux mais le faible. Sauf que fort et doux sont de même nature : l'excès de fort donne la dureté comme l'excès de douceur donne la faiblesse. Ainsi l'abbé A. Calmet dans son "Commentaire littéral sur l'Ancien et le Nouveau Testament", écrit, je cite : "On peut conserver l'allusion qui se remarque dans le Texte en traduisant : Du mangeur est sorti le manger, et du dur, de l'amer, du fort, est sorti le doux"[4].
Le couple d’opposés fondamental c’est Adam et Eve, le fort et la douce.  La formule de Samson est alors une image de la différenciation, c’est-à-dire de l’autre moyen, après les cycles de la vie et de la mort, de créer le monde à travers la diversité. A partir du néant se crée le haut et le bas, le proche et le lointain, le chaud et le froid, le sec et l’humide, aucun opposé ne peut exister sans l’existence de l’autre et rien ne peut exister qui ne soit la résultante de qualités opposées. Ainsi du fort sort le doux, et la vie du néant.
C'est la naissance de la dualité sans laquelle rien n'existe.

Nous retrouvons ici notre ouroboros, car : "La forme circulaire de l'image a donné lieu à une autre interprétation, l'union du monde chtonien, figuré par le serpent, et du monde céleste figuré par le cercle. Cette interprétation serait confirmée par le fait que l'ouroboros, dans certaines représentations, serait moitié noir moitié blanc. Il signifierait ainsi l'union de deux principes opposés, soit le ciel et le terre, soit le bien et le mal, soit le jour et la nuit, soit le Yang et le Yin chinois, et toutes les valeurs dont ces opposés sont porteurs.[5]"
La solution de l’énigme de Samson est donc là, l’Ouroboros, c’est-à-dire la vie qui se construit par le renouvellement et la différenciation. Samson n’est-il pas mandaté par Dieu pour renouveler la société philistine en détruisant ses élites ? De plus, ses aventures ne sont-elles pas le fruit d’un immense problème de relation avec les femmes ? Qui mieux que Samson pour rendre compte à la fois du destin tragique des civilisations, qui comme tout ce qui est vivant est destiné à la mort, et de l’éternel combat entre le féminin et le masculin, qui, lorsqu’ils sont unis donnent naissance à la vie, et lorsqu’ils sont désunis entrainent morts et catastrophes. Samson n’est pas tout l’ouroboros, il est seulement le moment où le serpent qui engendre le monde, mange ses propres enfants pour toujours et à nouveau, le renouveler.
On va donner ici la solution à une autre énigme : Pourquoi l’Ouroboros est-il représenté avec quatre pattes ? Parce que l’œuvre différenciatrice, fondée sur la différence des sexes crée la latéralité, c’est-à-dire le fait que notre être soit divisé en deux moitiés symétriques .Ainsi par exemple, l’huitre, qui est un hermaphrodite complet, change de sexe d’une saison à sur l’autre, mais est un animal informe. Le lombric lui, possède les deux organes génitaux et se reproduit tête-bêche, mais il n’a développé qu’un organisme en forme de tube. Il n’y a que l’escargot, qui commence à développer une coquille qui tourne en rond, et deux yeux en forme de tentacule, première prise de conscience de la droite et de la gauche, pour aller ensuite vers la séparation des sexes.
La reproduction sexuée tresse le monde dans un entrelacs de formes de plus en plus complexes et de couleurs chamarrées. Qu'il suffise de comparer la tristesse du sol lunaire à la féerie du monde terrestre !
Nous allons parler un autre jour du temple du roi Salomon et de ces fameuses colonnes, dont chacune nous allons le voir, représente un sexe, et qui sont surmontés par des chapiteaux ainsi décrit : Il fit des treillis en forme de réseaux, des festons façonnés en chaînettes, pour les chapiteaux qui étaient sur le sommet des colonnes, sept pour le premier chapiteau, et sept pour le second chapiteau. Il fit deux rangs de grenades autour de l'un des treillis, pour couvrir le chapiteau qui était sur le sommet d'une des colonnes; il fit de même pour le second chapiteau. Les chapiteaux qui étaient sur le sommet des colonnes, dans le portique, figuraient des lis et avaient quatre coudées. Les chapiteaux placés sur les deux colonnes étaient entourés de deux cents grenades, en haut, près du renflement qui était au-delà du treillis; il y avait aussi deux cents grenades rangées autour du second chapiteau.  (1 roi 7:17-20)

La grenade, le fruit fait de mille fruits dans des entrelacs végétaux, des chainettes, la vie quoi.
La différence de genre, c'est la diversité et la singularité. C'est ce qui fait de nous des êtres uniques en rien interchangeables avec un autre. Ce point est clairement exprimé dans le texte : Samson avait fixé un enjeu à la résolution de l'énigme, il avait dit "si vous la découvrez, je vous donnerai trente chemises et trente vêtements de rechange"[6]. Les vêtements représentent la personnalité.  Ici ils sont subdivisés en deux catégories, les chemises sont les vêtements d'apparats, c’est-à-dire la personnalité  telle qu'elle est représentée à l'extérieur, et les vêtements de rechange sont les sous-vêtements, ils relèvent de l'intime, de la personnalité vécue de l'intérieur telle qu'elle est seule à se connaitre.
Samson pour payer son dû va tuer trente gars et les dépouille de leurs vêtements, c'est à dire de leur personnalité, et les donne à d'autres, comme si l'on pouvait les interchanger, parce que c'est sans importance, lui est égal à lui, il n'y a pas de différence. D'ailleurs, quand Samson quitte la noce, on donnera sa fiancée à l'un de ses proches. Ça fait pareil. Et quand Samson retourne réclamer sa promise le père lui dira : Est-ce que sa jeune sœur n'est pas plus belle qu'elle ? Prends-la donc à sa place. Il n'y a pas eu de mariage, la rencontre entre les sexes n'a pas lieu, donc la différenciation ne peut se faire.



[1] Juges 14.14
[2] Œuvres complètes de Saint Augustin –Sermon 364 - Tome 19 p. 330
[3] Coran 47.38
[4] "Commentaire littéral sur tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament" Augustin Calmet p.223 Josué, les juges, Ruth. 1711
[5] DDS Ouroboros p.716
[6] Juges 14-12

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