lundi 4 février 2019

Sarah et Rachel, ou la GPA.





Saraï était stérile


Or Saraï était stérile et voilà qu’elle eut l’idée lumineuse de faire avoir un enfant à sa servante Hagar.

Laissons à Philon le récit de l’aventure, il le fait par la voix de Saraï :


Depuis longtemps nous avons vécu ensemble, nous chérissant l’un l’autre. Mais ce pour quoi nous-mêmes sommes accordés et pour quoi la nature a harmonisé l’union de l’homme et de la femme, c’est-à-dire la procréation des enfants, cela n’a pas été réalisé et ne peut plus être espéré, du moins pour moi qui ai maintenant dépassé l’âge. Mais ne soyez pas victime de ma stérilité ; n’allez pas renoncer, par amour pour moi, à être le père que vous pouvez être. Car je n’aurais aucune jalousie à l’égard d’une autre femme que vous prendriez non par désir capricieux, mais pour accomplir l’exigeante loi de la nature. Aussi ne tarderai-je pas à vous amener une femme qui suppléera à mon insuffisance. Et si les prières que nous faisons pour obtenir que naissent les enfants trouvent une réponse, ce seront bien les votre par filiation légitime, mais par adoption ils seront pleinement à moi. Et pour que je ne puisse être soupçonnée de jalousie, si vous le voulez, prenez une de mes servantes, qui a un corps d'esclave mais une pensée libre et noble, dont j'ai fait l'expérience depuis longtemps, du jour où elle a été pour le première fois amenée dans ma maison, Egyptienne de race, mais juives dans ses sentiments.
Le texte de Philon, bien que globalement fidèle, enjolive le récit. On y lit la dévotion de Philon envers Saraï à qui il doit tout pardonner au point d'ignorer complètement que l'affaire finira mal.
En effet, Sarah non contente d'avoir jeté Hagar dans les bras d'Abram, fera chasser la mère et l'enfant, dans le désert, les condamnant à une mort certaine.
L’affaire peut paraître banale puisqu’il n’est pas rare qu’un homme, à défaut d’avoir eu des enfants avec une première femme, en prenne une deuxième en vue de remédier au problème et de s’assurer une descendance.
D’aucuns ont voulu voir dans la bible une caution à la GPA. Pour preuve, en Israël elle est autorisée depuis 1996 et les rabbins orthodoxes ont donné leur aval puisque les Mères l’avaient elles-mêmes pratiquées. Quelqu’un titre sur le site « doctossimo », "La GPA dans la bible c’est permis."

Cette blague !

 Effectivement le texte biblique a son mot à dire sur cette question-là et c’est beaucoup moins glamour que ne le veut Philon.

Reprenons.

Et Saraï dit à Abram : Voici, l'Eternel m'a rendue stérile; viens, je te prie, vers ma servante; peut-être aurai-je par elle des enfants. (Genèse 16:2)

Rachel sera plus explicite sur la nature du projet : il faudra qu'on ait l'impression que l'enfant sorte entre ses cuisses afin qu’on dise que c'est le sien.  

Elle dit : Voici ma servante Bilha; va vers elle; qu'elle enfante sur mes genoux, et que par elle j'aie aussi des fils. (Genèse 30:3)

Parlons un peu de Bilha. Elle est comme Zilpa ou Hagar, jamais un mot ne sera prononcé par sa bouche, elle n’a pas voix au chapitre et subit. Elle est servante/esclave, donnée en cadeau avec Zilpa, par Laban, le père des sœurs Rachel et Léa. On ne pense pas qu’elle eut son mot à dire, quand elle fut mise dans le trousseau de  Rachel. Et Rachel l’utilise à son gré et veut même usurper le produit de son corps. La relation qui unit chacune de ces trois femmes aux trois "mères porteuses" est-celle de maître à esclave.

Bilha n’a pas de reconnaissance posthume : pour le talmud, elles ne font pas partie des Imahot, les Mères. Seule Sarah, Rebecca, Léa et Rachel ont droit à ce titre, pas de Tombeau ni de tombe, pour les sacs à mômes que sont Bilha et Zilpa.

Donc oui, la bible cautionne la GPA comme elle cautionne l’esclavage. 

Après c’est une question de choix.

L’histoire nous montre quatre femmes qui n’ont pas d’autres soucis que de faire des enfants à leur mari. Peu importe les moyens, cela semble leur unique objectif. De plus, ce qui compte dans la bible, c’est la descendance du père. La généalogie est masculine, c’est toujours fils de.
Sarah, Rebecca et Rachel sont appelés les »mères », des mères qui débordent sur Hagar, Bilha et Zilpa. Pour ces femmes, il semble que leurs ventres soient interchangeables puisque toute la valeur est dans le germe, le sperme de l’homme.

Pourtant la bible est formelle, le rêve de ces femmes ne se réalise pas, le texte biblique ne produit pas de faux papier déclarant que le fils de Bilha est fils de Rachel.
Jamais.
 Les enfants sont nommés avec leur mère respective.
Toujours.

Dans la généalogie des enfants le lien de filiation avec leur mère-servante n’est jamais supprimé comme ils ne sont jamais séparés de leur mère.

Quand Hagar est chassé au désert, elle part avec son fils. Il n’y a pas de mère porteuse dans la bible parce qu’il n’y a pas cet acte qui consiste à séparer l’enfant de sa mère. Parler de GPA pour ce qui se passe dans la bible est abusif. Il y a peut-être une mère d’intention, celle qui espère avoir un enfant à travers une autre, mais ce vœu ne se réalise pas. L’enfant nait mais garde sa mère.      
Aussi, comme pour la prostituée du jugement de Salomon, le projet de Saraï est voué à l'échec parce que l'enfant a une mère avec qui elle rentre en conflit dès qu'elle est enceinte.

Il alla vers Agar (Hagar), et elle devint enceinte. Quand elle se vit enceinte, elle regarda sa maîtresse avec mépris. 

Il est assez facile de comprendre ce qui se passe. En devenant enceinte, Hagar change de statut et l’ordre hiérarchique qui prévalait est chamboulé. Hagar qui était esclave acquière au travers de la maternité un statut supérieur à sa maîtresse qui enrage alors de jalousie. Non seulement elle se dispute avec Abram mais Ismaël ne deviendra jamais son fils et c’est elle-même qui finira par demander son expulsion en disant qu’il ne doit pas prendre part à l’héritage.
et elle dit à Abraham : Chasse cette servante et son fils, car le fils de cette servante n'héritera pas avec mon fils, avec Isaac.
Cette déclaration vaut « Ismaël n’est pas mon fils » alors que quelques mois plutôt elle avait voulu ce fils. Peut-être aurai-je par elle des enfants, pensait-elle.


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