lundi 1 avril 2019

Charlie Coulibaly sous le regard d'Esther.




Voici un texte écrit après les attentats de Charlie Hebdo alors que j'étais occupé à l'étude du Livre d'Esther. Le livre d'Esther est le prototype du crime rituel puisqu'Esther obtient de Dieu de pouvoir pendre à nouveau, Haman et ses fils.
Lors de la fête de Pourim qui commémore les actes de la reine Esther, il est recommandé de boire, de s'enivrer, jusqu'à confondre Mardochée et Haman, le bénit et le maudit.
Poser le regard d'Esther sur les attentats de Charlie Hebdo, c'est se poser la question du crime rituel et montrer comment ce que l'on en sait peut sensiblement éclairer les attentats.

Le texte commence par un préambule qui définit le contexte métaphysique sous-jacent de cette lecture.

Préambule


Posons comme Ibn Arabi " le désir d’Union ", objet véritable de toute forme d’amour. Chez Ibn Arabi, le Désir d’Union, ou Amour Universel, est la relation de base entre le Créateur et les créatures. Chaque fois qu’un homme aime, que cela soit une femme, une nourriture, l’argent ou lui-même, il aime en vertu de ce Désir d’Union, par lequel Dieu Aime Ses créatures et ses créatures L’aime en retour. Le " Désir d’Union " est ainsi une forme d’attraction universelle de nature spirituelle qui veut que tout retourne à sa source.
Ce qui est premier, ce qui est originel, c’est le Tout, le Un. On peut également appeler ce Tout la Mère.
La vie n’apparait pas du rien pour se complexifier, la vie apparait du Tout par différenciation et le Désir d’Union est en quelque sorte le lien entre le Créateur et les créatures expulsées hors du grand Tout (si tant est que le tout puisse avoir un extérieur, mais en réalité cette notion n’est que relative à la position de la créature). Du point de vue de la créature, l’Amour universel est la nostalgie de l’origine, le paradis perdu. Tout ce qui aime, et je pense qu’il faut ajouter à cela l’attraction universelle, provient de cet Amour. Bien qu’en réalité l’Amour Universel ait pour destination véritable Dieu, il peut se fixer sur les objets les plus variés. Lorsque la mère, mère biologique, ne remplit plus sa fonction de substitut à la Mère, l’Amour va s’attacher à d’autres objets. C’est par exemple ce qui donne les addictions ou le fétichisme par exemple.
Mais comme cet Amour est régressif, puisqu’il est nostalgie des origines, il est refus de la différenciation : c’est de là que nait l’esprit de meute, donc la communauté, la répétition du même et l’identification à l’autre en tant qu’il est le même. Nous sommes d’abord des " nous " avant d’être des " je ".
L’acte créateur a pour agent la castration, c’est par elle que le Tout Indifférencié accède à la diversité :
La différenciation nous la trouvons génèse 1 : Dieu sépare la lumière et l’obscurité, puis les eaux d’en haut et les eaux d’en bas. L’agent de la différenciation/création est la castration puisqu’il la création se fait par séparation.
C’est encore Moïse fendant la mer (mère) pour extraire son peuple du peuple égyptien mais aussi bien la division de la première cellule de laquelle nous naissons tous.
La castration est le couteau qui trace dans la Totalité, afin d’extraire l’individu, et dessine en miroir la limite entre moi et l’autre.

Cette castration est une souffrance, précisément la mère de toutes les souffrances. C’est l’épée du Christ ; c’est le couteau d’Abraham. La vie est division, différenciation, discrimination et souffrance.
Le "nous" précède le moi ; le chemin va de l’Indifférencié vers la diversité, nous ne sommes pas des individus qui s’identifient à un "nous", nous sommes des identifiés à un "nous" qui s’individualisent. D’abord attaché à la mère, nous élargissons nos attachements à ce qui lui ressemble. C’est la tribu, le peuple, la patrie, l’état.
Les supporters.
L’égo, que beaucoup confondent avec le moi, est en réalité un "nous".
Le moi participe de celui du groupe, il n’est qu’en partie différencié et s’identifie à ce qui lui ressemble.  Si les français se sont sentis attaqués quand Charlie Hebdo a été attaqué, c’est parce qu’ils ne sont pas individualisés, ce sont des "nous" Français.
Le "nous" est premier, et c’est le Désir d’Union qui le fait perdurer.
Le Désir d'Union est le Créateur qui retourne au Créateur à travers l'acte Créateur,
Ce Désir d’Union est régressif et aliénant et s’oppose à la castration puisqu’il s’agit, pour la créature, de retourner à l’état indifférencié originel. Tout ce qui divise est source d’angoisse,
L’égo, image narcissique de soi, est en réalité  une image de "nous ".
La différenciation, individuation chez Jung, c’est passer d’un nous indivisé à des moi individuels.
Du groupe découle les phénomènes de masses. Le génocide par exemple.
Donc l’homme est pris dans un double mouvement, contradictoire, celui de la castration qui est différenciation et souffrance, et celui du désir d’union, l’Amour. La contradiction entre ses deux mouvements génère l’angoisse.


Le Bouc Émissaire


Puis il prendra les deux boucs et les placera devant l'Eternel à l'entrée de la tente de la Rencontre.
Il tirera au sort pour savoir lequel des deux sera destiné à être sacrifié à l'Eternel et lequel sera destiné à être un bouc émissaire
Il fera approcher le bouc que le sort aura attribué à l'Eternel, et l'offrira en sacrifice pour le péché.
Quant au bouc désigné par le sort comme bouc émissaire, on le présentera vivant devant l'Eternel, pour servir à l'expiation et pour être chassé comme bouc émissaire dans le désert.  (Lévitique 16:8-10)
"Parlerai-je des deux boucs offerts par la loi mosaïque dans le jeûne public ? Ne représentent-ils pas aussi le double aspect du Christ ? [...] L’un des deux boucs, environné d’écarlate, chargé de malédictions, couvert d’ignominies, insulté, frappé, maltraité par tout le peuple, était chassé hors de la ville et envoyé à la mort, portant ainsi les caractères manifestes de la passion de notre Seigneur, qui, après avoir été revêtu d’écarlate, après avoir subi les opprobres et les malédictions de tous, fut crucifié hors de la ville. [...] Le second, au contraire, éclatant de lumière et digne d’un Dieu [...]" (Tertullien : Adversus Iudaeos, XIV cité par Frazer)
Pour qu'un groupe humain perçoive sa propre violence collective comme sacrée, il faut qu'il l'exerce unanimement contre une victime dont l'innocence n'apparaît plus, du fait même de cette unanimité. (René Girard " La route antique des hommes pervers ")
Un bouc émissaire reste efficace aussi longtemps que nous croyons en sa culpabilité. Avoir un bouc émissaire, c’est ne pas savoir qu’on l’a. Apprendre qu’on en a un, c’est le perdre à tout jamais… (René Girard " Achever Clausewitz")

 

Le crime rituel

 

Dans l'accusation de crime rituel, l’histoire commence toujours ainsi : on découvre le cadavre. il s’agit d’un cadavre généralement mutilé. On ne connaît pas le coupable. Probablement l’acte d’un pervers, peut-être l’acte d’un provocateur.
Dans Dupont Lajoie, le criminel est le bistrotier. Il est le violeur. Son crime, c’est la Toute-Puissance en acte qu’il ne sait maîtriser.
Dans l’affaire Charlie Hebdo, c’est encore le pouvoir qui est à l’œuvre, soit consciemment - et il est alors l’organisateur - soit inconsciemment (ce sont les guerres au Proche-Orient, la Fabrique du jihad etc..), il est alors la cause profonde. Les terroristes sont le résultat de notre politique qui fabrique du terrorisme. C’est bien " le pouvoir " qui a " organisé " les attentats, même si il ne le sait pas.
J’entends par pouvoir " celui qui possède la puissance " et par le fait " peut agir ". Dans Dupont Lajoie, c’est parce qu’il peut le faire, qu’il passe à l’acte, et qu’il devient le violeur. C’est un pouvoir non maîtrisé.
En retour de l’acte, il y a la punition, suivant le schéma toujours répété: transgression  passage à l’acte - punition.
Toujours. La punition, c’est la réponse du Pouvoir au pouvoir.
Sauf que dans le temps qui sépare le passage à l’acte de la punition, il y a le temps où on essaye de faire porter le chapeau sur l’autre.
Le schéma est alors : transgression - passage à l’acte - accusation de l’autre - punition.
Ce schéma peut se former sur le plan individuel, dans la cour d’une école, ou sur le plan collectif, au sein d’une nation.
Examinons notre crime rituel sous la question de la posture victimaire telle qu’elle se joue dans la cours d’une école : un enfant en titille un autre jusqu’à prendre une baffe en retour, puis il crie : " maitresse, maitresse, il m’a frappé ". L’enfant baffeur sera puni, l’enfant titilleur sera cajolé. Du moins l’espère-t-il, rejouant le schéma du bébé qui appelle le sein à force de cris. Il y a une sorte de dialectique du crime.
Justification du crime par la posture de victime.
Le crime rituel est un crime à double détente avec une double victime : la victime innocente et le coupable désigné, Il n’est pas toujours simple de démêler qui est la victime, qui est le coupable, même si, en apparence, les choses sont claires. Le propos du crime rituel,  le discours raisonné sur le crime, est de tracer une ligne précise entre les deux victimes, C’est l’histoire de nos deux boucs du sacrifice hébreux. Mais en réalité la ligne de partage n’est jamais si claire, ainsi dans notre histoire de cours d’école, il y a l’enfant qui titille, coupable, qui prend une baffe, victime, qui manipule la maîtresse, coupable. il y a l’enfant qui est harcelé, victime, qui file une baffe, coupable, qui est injustement puni, victime. On pourrait de la même façon voir que la maîtresse est également victime et coupable.
Face à cette succession de coupables et de victimes, la dernière victime ne serait-elle pas le premier coupable : ne parle-ton pas de " cycle de la violence " ?
Il en a toujours été ainsi : l’alpha EST l’oméga, la cause première (l’être divin responsable de tout, victime sacrificielle accusée même de sa propre mise à mort) et la fin dernière, vers laquelle nous nous dirigeons. (LLSalvador)
C’est l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue. Ce n’est plus Saturne qui dévore ses enfants, c’est le serpent qui se dévore lui-même. C’est également la chaîne alimentaire : manger et être mangé et in fine, naitre (n'être) mourir et renaître.

Pourtant on ne pourra pas dire de l'enfant qui titille qu’il est manipulateur : il titille pour titiller. Ce n’est pas forcément calculé. Il ne se dit pas, " je vais me prendre une baffe et je vais pouvoir en profiter ". On voit bien qu’il n’agit pas ici en conscience mais à l’insu de son plein gré. La baffe, il va la prendre. Il le sait qu’il va la prendre. Et bien il ne sait pas pourquoi, mais il titille quand même. Il est alors victime de lui-même, c’est à dire de son incapacité à contrôler sa pulsion. Nous sommes face à une relation sadomasochiste, le crime rituel et les actes qui s’y rattachent ont toujours un fond sadomasochiste. L’aboutissement ultime de ce crime étant le masochiste pur, à la fois le bourreau et la victime. Tout en un.
Dans l’analogie avec la cour de récréation, l’enfant qui titille ne le fait pas pour jouer la victime. Il EST la victime. C’est son sentiment de toute-puissance et de négation de l’autre qui le pousse à agir ainsi. Son acte est pulsionnel, il n’est pas raisonné. La baffe qu’il prend en retour, c’est le retour du réel, la vengeance de l’autre, qui refuse l’anéantissement que la toute-puissance promeut, le tout excluant l’autre, par définition.
Dans notre histoire avec Charlie Hebdo on est dans le même schéma. CH est l’enfant qui titille et comme le rappelle le pape, " celui qui insulte ma mère doit s’attendre à prendre un poing dans la figure ". Que l’attaque qu’ils ont subie les sanctifie : ils passent ipso facto dans le statut de la victime innocente. Il y a une ligne de partage claire entre la victime innocente et le coupable désigné. Dans l’accusation de crime rituel, la victime de départ est un enfant, preuve de son innocence, qui, par identification, innocentera l’ensemble de la communauté, d’autant que le coupable est clairement désigné.
J’ai dit du coupable désigné qu’il était aussi une victime. Ça ne parait pas une évidence, si l’on connaît parfaitement le coupable, ici Coulibaly et Kouachi. Il est absurde d’en faire des victimes. Mais en réalité, comme il y a non différenciation de l’image narcissique de soi, le coupable désigné ne sont pas seulement les terroristes mais ce sont les terroristes et ceux qui leur ressemblent. On l’a vu avec le 11 sept et les guerres qui ont suivies : les 19 terroristes n’étaient en réalité que des chèvres destinées à attirer la guerre sur les pays du proche orient et au final, la véritable victime du crime est bien le coupable désigné, non pas parce qu’il est l’auteur du crime mais parce qu’il lui ressemble.
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Il est beaucoup plus facile de vivre dans un monde où le bien est clairement identifié comme étant du côté de la victime et le mal clairement identifié comme étant du côté de son bourreau : le discours sur le crime vise précisément à faire ce partage, sans ambiguïté. Si on commence à dire que la victime est peut-être le bourreau et le bourreau peut-être la victime, on entre dans un monde où les repères s’estompent. C’est planche savonneuse.
Il faut avoir la capacité de prendre du recul et de juger les actes pour ce qu’ils sont : un enfant qui cherche la merde, c’est un enfant qui cherche la merde. Qu’il ait pris une baffe ou pas etc... Mais ça, on y arrive encore quand on se contente de juger les autres, avec soi-même les choses se compliquent.
Le crime a exacerbé le désir d’union, il a créé deux masses distinctes, d’un côté le " nous ", entièrement du côté du bien, la victime, de l’autre le " eux ", entièrement du côté du mal, le bourreau, et il a mis entre l’épée de la castration, l’esprit de vengeance.

 

Le bouc émissaire,

 

Pour René Girard la crise de la rivalité mimétique trouverait sa résolution dans le sacrifice : le mal, sous les oripeaux du bouc, est chassé hors de la cité. Chacun se fait des petits bisous et s’auto-congratule.
Le religieux serait alors la mise en scène du crime.
Ce qu’il y a de frappant dans notre histoire, comme dans les autres affaires de crime rituel, c’est que le discours sur le crime trace une ligne de partage précise entre d’un côté la victime innocente " éclatant de lumière et digne d’un Dieu ", Charlie Hebdo, et de l’autre le coupable désigné "environné d’écarlate, chargé de malédictions, couvert d’ignominies, insulté, frappé, maltraité par tout le peuple". (Tertullien)
Il s’agit en quelque sorte de jouer par avance le jugement dernier, celui qui doit séparer le bon grain de l’ivraie. Cette ligne que le discours trace, sépare non pas moi et l’autre, mais nous, d’eux, avec cette particularité que le nous est entièrement du côté du bien et le eux est entièrement du côté du mal.
Nous pouvons dire ici que le crime est castration : c’est le discours sur le crime qui le révèle.
Ici, ce qui met en route la boite à penser, c’est la découverte de la carte nationale d’identité. Pour le 11 septembre il s’agissait d’un passeport : crise internationale là-bas, crise au sein de la nation ici.
Le crime polarise les masses. Il apparaît comme le couteau d’une balance à fléau sur laquelle s’équilibre le bien et le mal. Sur un des plateaux, eux, non pas un autre réel, un " vous " semblable à " nous " et avec lequel pourrait s’instaurer un dialogue équilibré, non, un autre imaginaire, le bouc chargé d’ignominie et rejeté de la cité.
En lisant les commentaires des internautes on constate que ce " eux " imaginaire, sert de mesure pour évaluer nos actes. On lira par exemple des internautes dirent " oui, mais nous en France, on ne tue pas les gens juste parce qu’ils veulent faire rire " ou bien " oui, les mesures sécuritaires, c’est peut-être désagréable, mais eux là-bas , ils condamnent un type à 1000 coups de fouets, juste parce qu’il tenait un blog " etc... Le " "eux " est un moyen, à faible coût, de se donner bonne conscience et d’être sûr d’être du bon côté, le côté du bien, le côté de la liberté, le côté de la vérité. Et même si le mot est rarement prononcé, ce " eux " est de nature démoniaque et satanique.
Ainsi  la masse, même si elle n’est pour rien dans le crime et qu’elle le subit, (d’ailleurs elle finira elle-même comme victime), en tire un bénéfice immédiat. Elle a tout à coup conscience de sa supériorité morale. C’est sans doute pourquoi elle refuse d’entendre ceux qui cherchent à la remettre dans la raison.
Si le crime polarise les masses, il déplace la castration en dehors du nous, et semble satisfaire le désir d’union, mais il est un échec de l’acte créateur, puisque l’acte créateur est différenciation. Au lieu de créer de la diversité, le crime agglomère les masses dans un modèle unique. Coup de tonnerre avant tempêtes.
Le sentiment d’euphorie rapporté par certains participants de la grande marche parisienne  provient de là : le désir d’union est comblé et l'angoisse de castration est absente.
La société humaine n’a pas intérêt à laisser se déplacer la castration hors du nous, même si elle en tire un gain immédiat, ce gain n’est au final qu’une perte. Il faut conserver la castration à l’intérieur du nous : il est préférable d’avoir une multitude de petits crimes, que sont les sacrifices, plutôt qu’une paix qui n’est que préparation à la guerre.
La société occidentale qui a fait de la libre jouissance son modèle idéologique, est une société qui refuse la castration et laisse libre cours à la Toute-Puissance. Elle est alors condamnée à vivre du crime qu’elle projette hors d’elle-même. Ce crime s’accompagne de la naissance d’un " eux " haï par déplacement de l’angoisse de castration.
Pour le pouvoir manipulateur, les éléments du contrôle des masses sont là : polarisation, déport de l’angoisse de castration dans la relation à eux, euphorie provoquée par la satisfaction du désir d’union.
Alors, celui qui tient la clé du discours sur le crime, celui-là a le pouvoir, la masse à ses pieds qui le remercie.
Cette situation est instable et n’est pas tenable ; le retour au réel risque d’être cuisant.

La communauté se rassemble autour du cadavre.

L’esprit est pris dans la torpeur,

La mort est un spectacle.

Aujourd’hui c’est cirque médiatique :

Ce qui pense, là, c’est " on ".

Le crime, ou le spectacle du crime ?


Convenons que le crime n’est rien sans son spectacle.
A n’en pas douter, le rite, que ce soit l’égorgement du mouton lors de l’aïd El kabir, la lecture d’Esther lors de Pourim, ou de la célébration eucharistique, ne sont en réalité que du crime mis en spectacle. De nos jours, c’est la messe du 20h qui fait office, et nous savons qu’il s’agit de créer du cerveau de consommateur disponible. Le consommateur devant se lire ici, encore, comme étant " celui qui mange ". Sans oublier que consommer[1]  signifie également " prendre complètement ", " absorber ", " détruire ", " perdre ", " affaiblir ", " user ", " miner ", " anéantir ", " employer ", " épuiser"…Peut-être s’agit-il d’accéder à la jouissance sans souffrir de la culpabilité ?
Le crime originel serait " tuer pour manger ". Ce meurtre est-il exempt de culpabilité si c’est l’autre qui tue ?
Le bouc émissaire est celui qui prend le crime sur lui.
D’ailleurs, messieurs les voyeurs, y-a-t-il une jouissance à voir Charlie Hebdo mourir à la télé ?
Il semble pour le moins que le crime crée une attraction morbide, ce que prouve l’existence des chaines d’information en continu.
Si l’on regarde ces trois rites, Aid El Kébir, Pourim, Eucharistie, on s’aperçoit qu’ils suivent le même schéma :

1-Angoisse face à la mort.
2-Sacrifice (image de la castration)
3-repas en commun = jouissance partagée (Désir d’Union)
Ici,
Crise
Attentat
Recueillement.

La Torah décrit diverses offrandes (korbanot) pour diverses occasions avec de nombreux détails. Le rite fut observé par les Juifs jusqu’à la destruction du Second Temple en 70 Ap. JC.
le premier, korban olah, est une offrande expiatoire offerte le plus souvent à titre individuel et volontaire, où un animal, le plus souvent choisi parmi le gros ou le menu bétail mâle et sans défaut, est intégralement consommé par le feu après avoir été chargé des fautes de l’individu qui l’offre par imposition des mains sur sa tête et abattu. Seules les fautes commises en état d’égarement peuvent être rédimées de la sorte. Le bois nécessaire pour le feu fait lui aussi l’objet d’un korban (Wikipédia)
Le péché est transmis sur l’animal sacrifié en guise de rédemption. Il s’agit de payer sa faute en offrant le sacrifice : sans doute que le spectacle de la violence dédouane de son pêché celui qui le contemple. Peut-être qu’un crime plus grand commis par l’autre, innocente un crime plus petit commis par soi.
Il n’est probablement pas sans signification qu’une partie de notre histoire tourne autour d’un supermarché.  Le propriétaire de l’épicerie Casher est aussi celui d’un abattoir qui produit la majeure partie de la viande Hallal consommée à Paris.

L’affaire est une question de bouffe, c’est ce que nous a appris Esther. On peut légitimement avancer que la première plainte, la plainte fondamentale, est celle du manque face à l’absence de la mère dans le but d’obtenir la satisfaction du ventre. La posture victimaire serait un moyen de rejouer cette plainte : exprimer la souffrance dans l’espoir d’amener l’autre à exaucer le désir. La manipulation par la souffrance. Chacun se sentant en empathie avec la victime en fonction de son propre manque. Être Charlie c'est aussi se reconnaître comme être souffrant et s’y complaire.
Le crime polarise les masses, celle du nous et l’autre, les eux. L’épée de la castration mis entre les deux. L’épée, signe du conflit. Peut-être la guerre. Mais pas seulement : l’épée représente le langage. Le langage parce qu’il est discriminant est un agent de la castration. Dans notre histoire, c’est la carte d’identité qui lance la boite à penser, nommant le coupable. Évidemment à partir de cette désignation, plusieurs discours possibles : chacun cherchera les signes, qui forment le sens, donnant corps au discours. Toujours est-il que les médias se précipitent sur cet os qu’on leur donne à ronger. Ce n’est pas le crime lui-même qui polarise les masses, mais bien le discours sur le crime. Ainsi pour asseoir son pouvoir sur la masse, il faut contrôler le discours sur le crime. Ce rôle est dévolu aux médias qui sont alors chargés de distribuer la bonne parole, de dire qui sont les victimes, qui sont les coupables, qui est du côté de la victime innocente, qui est du côté du coupable désigné dans un choix sans alternative : " on ne se sent pas Charlie Coulibaly ", on est soit Charlie, soit complice des terroristes ou faisant l’apologie du terrorisme. Bush avait fait le coup : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous.
Je suis Charlie veut dire que l’on est du côté de la liberté d’expression, du côté de la laïcité, de la liberté, de la culture, face à l’ignorance et la haine, l’islam.

 

Coulibaly :                                                         


Ils prennent, dit-il, un des prisonniers condamnés à mort et ils le font asseoir sur le trône du roi, ils l’affublent du costume royal, le laissent commander, boire, s’amuser ; prendre les maîtresses du roi pendant tous les jours de la fête ; personne ne l’empêche de faire absolument toutes ses fantaisies. Mais à la fin ils le déshabillent, le battent de verges, et le pendent. (Frazer le bouc émissaire)
Je me sens Charlie Coulibaly (Dieudonné)
Il faut boire jusqu’à confondre Haman le maudit et Mardochée le béni.(Talmud)
C’est dépasser la posture victimaire. Reconnaître en soi le bourreau potentiel et renoncer à la vengeance.


[1] L'étymologie du mot "consommer", du latin "consummare", littéralement faire une somme, un total, l'éloigne du mot "consumer", du latin "consumere", c’est-à-dire détruire peu à peu, mais l'usage l'en rapproche puisqu'il signifie également "détruire"

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